Ci-dessous, les 66 citations incluses dans le dispositif, provenant de divers textes de Rousseau et qui comportent une relation à la lumière.
0 — Émile
Les rayons du soleil levant rasaient déjà les plaines, et projetant sur les champs par longues ombres les arbres, les coteaux, les maisons, enrichissaient de mille accidents de lumière le plus beau tableau dont l’œil humain puisse être frappé. On eût dit que la nature étalait à nos yeux toute sa magnificence pour en offrir le texte à nos entretiens.
1 — Confessions
Dans l’entreprise que j’ai faite de me montrer tout entier au public, il faut que rien de moi ne lui reste obscur ou caché ; il faut que je me tienne incessamment sous ses yeux, qu’il me suive dans tous les égarements de mon cœur, dans tous les recoins de ma vie ; qu’il ne me perde pas de vue un seul instant, de peur que, trouvant dans mon récit la moindre lacune, le moindre vide, et se demandant, qu’a-t-il fait durant ce temps-là, il ne m’accuse de n’avoir pas voulu tout dire.
2 — Du contrat social
Comment une multitude aveugle qui souvent ne sait ce qu’elle veut, parce qu’elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle dʼelle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu’un système de législation? De lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours.
3 — Les Rêveries. Deuxième promenade
Je revenais avec complaisance sur toutes les affections de mon cœur, sur ses attachements si tendres mais si aveugles, sur les idées moins tristes que consolantes dont mon esprit s’était nourri depuis quelques années, et je me préparais à les rappeler assez pour les décrire avec un plaisir presque égal à celui que jʼavais pris a m’y livrer.
4 — Lettre à M. d’Alembert
Mais tel est le goût qu’il faut flatter sur la scène; telles sont les mœurs dʼun siècle instruit. Le savoir, l’esprit, le courage ont seuls notre admiration; et toi, douce et modeste vertu, tu restes toujours sans honneurs ! Aveugles que nous au milieu de tant de lumières !
5 — Essai sur l’origine des langues
Les couleurs ne sont pas dans les corps colorés, mais dans la lumière; pour qu’on voie un objet, il faut qu’il soit éclairé. Les sons ont aussi besoin dʼun mobile, et pour qu’ils existent, il faut que le corps sonore soit ébranlé.
6 — La Nouvelle Héloïse
Ajoutez à tout cela les illusions de lʼoptique, les pointes des monts différemment éclairées, le clair-obscur du soleil et des ombres, et tous les accidents de lumière qui en résultaient le matin et le soir; vous aurez quelque idée des scènes continuelles qui ne cessèrent dʼattirer mon admiration, et qui semblaient mʼêtre offertes en un vrai théâtre.
7 — Émile
Les illusions mêmes de la perspective nous sont nécessaires pour parvenir à connaître l’étendue et à comparer ses parties. Sans les fausses apparences, nous ne verrions rien dans l’éloignement sans les gradations de grandeur et de lumière, nous ne pourrions estimer aucune distance, ou plutôt, il n’y en aurait point pour nous.
8 — Confessions
J’ai fait le premier pas et le plus pénible dans le labyrinthe obscur et fangeux de mes confessions. Ce n’est pas ce qui est criminel qui coûte le plus à dire, c’est ce qui est ridicule et honteux. Dès à présent je suis sûr de moi, après ce que je viens d’oser dire, rien ne peut plus m’arrêter.
9 — Lettres à Malesherbes (seconde lettre) Montmorency le 12 janvier 1762
Tout à coup un heureux hasard vint m’éclairer sur ce que j’avais à faire pour moi-même, et à penser de mes semblables, sur lesquels mon cœur était sans cesse en contradiction avec mon esprit, et que je me sentais encore porté à aimer avec tant de raisons de les haïr.
10 — Discours sur les sciences et les arts
Cʼest un grand et beau spectacle de voir lʼhomme sortir en quelque manière du néant par ses propres efforts ; dissiper, par les lumières de la raison, les ténèbres dans lesquelles la nature l’avait enveloppé ; sʼélever au-dessus de lui-même ; s’élancer par l’esprit jusque dans les régions célestes ; parcourir à pas de géant ainsi que le soleil, la vaste étendue de lʼunivers.
11 — Lettre à M. d’Alembert
Nous avons déjà plusieurs de ces fêtes publiques; ayons-en davantage encore, je nʼen serai que plus charmé. Mais nʼadoptons point ces spectacles exclusifs qui renferment tristement un petit nombre de gens dans un antre obscur; qui les tiennent craintifs et immobiles dans le silence et lʼinaction; qui nʼoffrent aux yeux que cloisons, que pointes de fer, que soldats, qu’affligeantes images de la servitude et de lʼinégalité.
12 — La Nouvelle Héloïse
Depuis un an que nous étudions ensemble, nous n’avons guère fait que des lectures sans ordre et presque au hasard, plus pour consulter votre goût que pour l’éclairer : d’ailleurs tant de trouble dans l’âme ne nous laissait guère de liberté d’esprit. Les yeux étaient mal fixés sur le livre ; la bouche en prononçait les mots ; l’attention manquait toujours.
13 — Émile
Nous observons que les aveugles ont le tact plus sûr et plus fin que nous, parce que, n’étant pas guidés par la vue, ils sont forcés d’apprendre à tirer uniquement du premier sens les jugements que nous fournit l’autre. Pourquoi donc ne nous exerce-t-on pas à marcher comme eux dans l’obscurité, à connaître les corps que nous pouvons atteindre, à juger des objets qui nous environnent, à faire, en un mot, de nuit et sans lumière, tout ce qu’ils font de jour et sans yeux ?
14 — Confessions
Deux choses presque inalliables s’unissent en moi sans que j’en puisse concevoir la manière : un tempérament très ardent, des passions vives, impétueuses, et des idées lentes à naître, embarrassées, et qui ne se présentent jamais qu’après coup. On dirait que mon cœur et mon esprit n’appartiennent pas au même individu. Le sentiment plus prompt que l’éclair vient remplir mon âme, mais au lieu de m’éclairer il me brûle et m’éblouit. Je sens tout et je ne vois rien.
15 — Lettres à Malesherbes (seconde lettre) Montmorency le 12 janvier 1762
J’allais voir Diderot alors prisonnier à Vincennes ; j’avais dans ma poche un mercure de France que je me mis à feuilleter le long du chemin. Je tombe sur la question de l’Académie de Dijon qui a donné lieu à mon premier écrit. Si jamais quelque chose a ressemblé à une inspiration subite, c’est le mouvement qui se fit en moi à cette lecture ; tout à coup je me sens l’esprit ébloui de mille lumières.
16 — Lettres à Malesherbes (seconde lettre) Montmorency le 12 janvier 1762
Tout ce que j’ai pu retenir de ces foules de grandes vérités, qui dans un quart-d’heure m’illuminèrent sous cet arbre, a été bien faiblement épars dans les trois principaux de mes écrits, savoir ce premier discours, celui sur l’inégalité, et le traité de l’éducation, lesquels trois ouvrages sont inséparables, et forment ensemble un même tout.
17 — Discours sur les sciences et les arts
Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison, se cacheront sans cesse sous ce voile uniforme et perfide de politesse, sous cette urbanité si vantée que nous devons aux lumières de notre siècle.
18 — La Nouvelle Héloïse
Ainsi les hommes à qui l’on parle ne sont point ceux avec qui l’on converse ; leurs sentiments ne partent point de leur cœur, leurs lumières ne sont point dans leur esprit, leurs discours ne représentent point leurs pensées ; on n’aperçoit d’eux que leur figure, et l’on est dans une assemblée à peu près comme devant un tableau mouvant où le spectateur paisible est le seul être mû par lui-même.
19 — Émile
Nous sommes aveugles la moitié de la vie ; avec la différence que les vrais aveugles savent toujours se conduire; et que nous n’osons faire un pas au cœur de la nuit. On a de la lumière, me dira-t-on. Eh quoi! toujours des machines! Qui vous répond qu’elles vous suivront partout au besoin ? Pour moi, j’aime mieux qu’Émile ait des yeux au bout de ses doigts que dans la boutique d’un chandelier.
20 — Confessions
Que d’écarts on sauverait à la raison, que de vices on empêcherait de naître si l’on savait forcer l’économie animale à favoriser l’ordre moral qu’elle trouble si souvent ! Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l’obscurité, la lumière, les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine et sur notre âme par conséquent ; tout nous offre mille prises presque assurées pour gouverner dans leur origine les sentiments dont nous nous laissons dominer.
21 — La Nouvelle Héloïse
En entrant dans ce prétendu verger, je fus frappé d’une agréable sensation de fraîcheur que d’obscurs ombrages, une verdure animée et vive, des fleurs éparses de tous côtés, un gazouillement d’eau courante, et le chant de mille oiseaux, portèrent à mon imagination du moins autant qu’à mes sens ; mais en même temps je crus voir le lieu le plus sauvage, le plus solitaire de la nature, et il me semblait d’être le premier mortel qui jamais eût pénétré dans ce désert.
22 — Émile
La délicatesse de tours et d’expressions dont se servent entre eux les gens polis, supposant des lumières que les enfants ne doivent pas avoir, est tout à fait déplacée avec eux ; mais quand on honore vraiment leur simplicité, l’on prend aisément, en leur parlant, celle des termes qui leur conviennent. Il y a une certaine naïveté de langage qui sied et qui plaît à l’innocence : voilà le vrai ton qui détourne un enfant d’une dangereuse curiosité.
23 — Confessions
Prenez-moi dans le calme je suis l’indolence et la timidité même : tout m’effarouche, tout me rebute, une mouche en volant me fait peur; un mot à dire, un geste à faire épouvante ma paresse, la crainte et la honte me subjuguent à tel point que je voudrais m’éclipser aux yeux de tous les mortels.
24 — La Nouvelle Héloïse
Si vous voulez donc être homme en effet, apprenez à redescendre. L’humanité coule comme une eau pure et salutaire, et va fertiliser les lieux bas ; elle cherche toujours le niveau ; elle laisse à sec ces roches arides qui menacent la campagne, et ne donnent qu’une ombre nuisible ou des éclats pour écraser leurs voisins.
25 — Émile
Si les premières lueurs du jugement nous éblouissent et confondent d’abord les objets à nos regards, attendons que nos faibles yeux se rouvrent, se raffermissent ; et bientôt nous reverrons ces mêmes objets aux lumières de la raison, tels que nous les montrait d’abord la nature : ou plutôt soyons plus simples et moins vains ; bornons-nous aux premiers sentiments que nous trouvons en nous-mêmes, puisque c’est toujours à eux que l’étude nous ramène quand elle ne nous a point égarés.
26 — Confessions
Tous les objets que je voyais me semblaient les garants de ma prochaine félicité. Dans les maisons j’imaginais des festins rustiques, dans les prés de folâtres jeux, le long des eaux, les bains, des promenades, la pêche, sur les arbres des fruits délicieux, sous leurs ombres de voluptueux tête-à-têtes, sur les montagnes des cuves de lait et de crème, une oisiveté charmante, la paix, la simplicité, le plaisir d’aller sans savoir où.
27 — La Nouvelle Héloïse
Que fera donc l’homme de goût qui vit pour vivre, qui sait jouir de lui-même, qui cherche les plaisirs vrais et simples, et qui veut se faire une promenade à la porte de sa maison ? Il la fera si commode et si agréable qu’il s’y puisse plaire à toutes les heures de la journée, et pourtant si simple et si naturelle qu’il semble n’avoir rien fait. Il rassemblera l’eau, la verdure, l’ombre et la fraîcheur, car la nature aussi rassemble toutes ces choses.
28 — Dictionnaire de musique
Comme un bon peintre ne donne pas la même lumière à tous ses objets, l’habile musicien ne donnera pas non plus la même énergie à tous ses sentiments, ni la même force à tous ses tableaux, et placera chaque partie au lieu qui convient, moins pour la faire valoir seule, que pour donner un plus grand effet au tout.
29 — Du contrat social
Alors des lumières publiques résulte l’union de l’entendement et de la volonté dans le Corps social, de-là l’exact concours des parties, et enfin la plus grande force du tout. Voilà d’où naît la nécessité d’un Législateur.
30 — Les Rêveries. Quatrième promenade
Dans toutes les questions de morale difficiles comme celle-ci, je me suis toujours bien trouvé de les résoudre par le dictamen de ma conscience, plutôt que par les lumières de ma raison.
31 — Lettre à M. d’Alembert
Mais enfin, quand je me tromperais, ne dois-je pas agir, parler, selon ma conscience et mes lumières ? Ai-je du me taire, L’ai-je pu, sans trahir mon devoir et ma patrie ?
32 — Essai sur l’origine des langues
Il n’y a sortes d’absurdités auxquelles les observations physiques n’aient donné lieu dans la considération des Beaux-Arts. On a trouvé dans l’analyse du son, les mêmes rapports que dans celle de la lumière. Aussitôt on a saisi vivement cette analogie, sans s’embarrasser de l’expérience et de la raison. L’esprit de système a tout confondu, et faute de savoir peindre aux oreilles, on s’est avisé de chanter aux yeux.
33 — La Nouvelle Héloïse
Autrefois, une certaine lumière de sagesse et de raison dirigeait ma volonté; dans toutes les occasions embarrassantes, je discernais d’abord le parti le plus honnête et le prenais à l’instant.
34 — Confessions
O si les âmes dégagées de leurs terrestres entraves voient encore du sein de l’éternelle lumière ce qui se passe chez les mortels, pardonnez ombre chère et respectable, si je ne fais pas plus de grâce à vos fautes qu’aux miennes, si je dévoile également les unes et les autres aux yeux des lecteurs. Je dois, je veux être vrai pour vous comme pour moi-même; vous y perdrez toujours beaucoup moins que moi.
35 — Rousseau juge de Jean-Jaques. Dialogues
On a trouvé l’art de lui faire de Paris une solitude plus affreuse que les cavernes et les bois, où il ne trouve au milieu des hommes ni communication ni consolation ni conseil ni lumières, ni rien de tout ce qui pourrait lui aider à se conduire, un labyrinthe immense où l’on ne lui laisse apercevoir dans les ténèbres que de fausses routes qui l’égarent de plus en plus.
36 — Du contrat social
Dans le Gouvernement populaire tous les citoyens naissent magistrats; mais celui-ci les borne à un petit nombre, et ils ne le deviennent que par élection; moyen par lequel la probité, les lumières, lʼexpérience, et toutes les autres raisons de préférence et dʼestime publique, sont autant de nouveaux garants qu’on sera sagement gouverné.
37 — Les Rêveries. Deuxième promenade
Jʼaurais dû compter dʼavance sur cette métamorphose; mais il sʼy joignit tant de circonstances bizarres; tant de propos obscurs et de réticences lʼaccompagnèrent; on mʼen parlait dʼun air si risiblement discret que tous ces mystères m’inquiétèrent. Jʼai toujours haï les ténèbres, elles m’inspirent naturellement une horreur que celles dont on mʼenvironne depuis tant dʼannées n’ont pas dû diminuer.
38 — La Nouvelle Héloïse
Malheur à quiconque prêche une morale qu’il ne veut pas pratiquer! Celui qu’aveugle sa passion jusqu’à ce point en est bientôt puni par elle, et perd le goût des sentiments auxquels il a sacrifié son honneur.
39 — Confessions
Quels trésors de lumières et de vertus je trouvai dans cette âme forte ! Je sentis que c’était l’ami qu’il me fallait : nous devînmes intimes. Nos goûts n’étaient pas les mêmes : nous disputions toujours. Tous deux opiniâtres, nous n’étions jamais d’accord sur rien. Avec cela nous ne pouvions nous quitter, et tout en nous contrariant sans cesse, aucun des deux n’eut voulu que l’autre fut autrement.
40 — Rousseau juge de Jean-Jaques. Dialogues
Comme il ne voit dans l’agitation des hommes que la folie qu’il veut éviter, il plaint leur aveuglement encore plus qu’il ne hait leur malice ; il ne se tourmente point à leur rendre mal pour mal, outrage pour outrage, et si quelquefois il cherche à repousser les atteintes de ses ennemis, c’est sans chercher à les leur rendre, sans se passionner contre eux, sans sortir ni de sa place ni du calme où il veut rester.
41 — Discours sur les sciences et les arts
L’élévation et l’abaissement journaliers des eaux de lʼocéan n’ont pas été plus régulièrement assujettis au cours de l’astre qui nous éclaire durant la nuit, que le sort des mœurs et de la probité au progrès des Sciences et des Arts. On a vu la vertu sʼenfuir à mesure que leur lumière sʼélevait sur notre horizon, et le même phénomène s’est observé dans tous les temps et dans tous les lieux.
42 — Les Rêveries. Troisième promenade
Eh que me servent des lumières si tard et si douloureusement acquises sur ma destinée et sur les passions dʼautrui dont elle est l’œuvre! Je nʼai appris à mieux connaître les hommes que pour mieux sentir la misère où ils mʼont plongé, sans que cette connaissance en me découvrant tous leurs pièges m’en ait pu faire éviter aucun.
43 — La Nouvelle Héloïse
Le crépuscule, en commençant d’éclairer les objets, ne fit que les transformer au gré de mon imagination troublée. Mon effroi redouble et m’ôte le jugement ; après avoir trouvé ma porte avec peine, je m’enfuis de ma chambre, j’entre brusquement dans celle d’Edouard : j’ouvre son rideau, et me laisse tomber sur son lit en m’écriant hors d’haleine : « C’en est fait, je ne la verrai plus ! »
44 — Confessions
J’avais acheté un planisphère céleste pour étudier les constellations. Un soir des paysans passant assez tard me virent dans un grotesque équipage occupé à mon opération. La lueur qui donnait sur mon planisphère et dont ils ne voyaient pas la cause, parce que la lumière était cachée à leurs yeux par les bords du seau, ces quatre piquets, ce grand papier barbouillé de figures, ce cadre et le jeu de ma lunette qu’ils voyaient aller et venir donnait à cet objet un air de grimoire qui les effraya.
45 — Rousseau juge de Jean-Jaques. Dialogues
Partout il nous fait voir l’espèce humaine meilleure, plus sage et plus heureuse dans sa constitution primitive, aveugle, misérable et méchante à mesure qu’elle sʼen éloigne. Son but est de redresser l’erreur de nos jugements pour retarder le progrès de nos vices, et de nous montrer que là où nous cherchons la gloire et lʼéclat, nous ne trouvons en effet qu’erreurs et misères.
46 — Les Rêveries. Troisième promenade
Mais s’il me reste peu d’acquisitions à espérer du côté des lumières utiles, il m’en reste de bien importantes à faire du côté des vertus nécessaires à mon état. Cʼest là qu’il serait temps d’enrichir et d’orner mon âme d’un acquis qu’elle pût emporter avec elle, lorsque délivrée de ce corps qui l’offusque et l’aveugle, et voyant la vérité sans voile, elle apercevra la misère de toutes ces connaissances dont nos faux savants sont si vains.
47 — Confessions
D’autres me voyant livré tout à fait à la musique jugèrent de mon talent par mon sacrifice, et crurent qu’avec tant de passion pour cet art je devais le posséder supérieurement. Dans le royaume des aveugles les borgnes sont rois; je passai là pour un bon maitre parce qu’il n’y en avait que de mauvais. Ne manquant pas, au reste, d’un certain goût de chant, favorisé d’ailleurs par mon âge et par ma figure, j’eus bientôt plus d’écolières qu’il ne m’en fallait pour remplacer ma paye de secrétaire.
48 — Rousseau juge de Jean-Jaques. Dialogues
On lui fait mettre un bonnet bien noir, un vêtement bien brun, on le place dans un lieu bien sombre, et là, pour le peindre assis, on le fait tenir debout, courbé, appuyé d’une de ses mains sur une table bien basse, dans une attitude où ses muscles fortement tendus altèrent les traits de son visage. De toutes ces précautions devait résulter un portrait peu flatté quand il eut été fidèle. Vous avez vu ce terrible portrait ; vous jugerez de la ressemblance si jamais vous voyez l’original.
49 — Les Rêveries. Sixième promenade
Tant de cruelles expériences changèrent peu à peu mes premières dispositions ou plutôt les renfermant enfin dans leurs véritables bornes, elles m’apprirent à suivre moins aveuglément mon penchant à bien faire, lorsqu’il ne servait qu’à favoriser la méchanceté d’autrui.
50 — Confessions
L’effervescence commença presque à l’instant très violemment. Je courus à la bouteille pour la déboucher mais je n’y fus pas à temps ; elle me sauta au visage comme une bombe. J’avalai de l’orpiment, de la chaux, j’en faillis mourir. Je restai aveugle plus de six semaines, et j’appris ainsi à ne pas me mêler de physique expérimentale sans en savoir les éléments.
51 — Rousseau juge de Jean-Jaques. Dialogues
Tant que la fortune ne m’a fait que pauvre, je n’ai pas vécu malheureux. J’ai goûté quelquefois de vrais plaisirs dans l’obscurité : mais je n’en suis sorti que pour tomber dans un gouffre de calamités, et ceux qui m’y ont plongé se sont appliqués à me rendre insupportables les maux qu’ils feignaient de plaindre et que je n’aurais pas connus sans eux.
52 — Les Rêveries. Sixième promenade
Mais je n’ai point regret à ces mêmes expériences, puisqu’elles m’ont procuré par la réflexion de nouvelles lumières sur la connaissance de moi-même et sur les vrais motifs de ma conduite en mille circonstances sur lesquelles je me suis si souvent fait illusion. J’ai vu que pour bien faire avec plaisir, il fallait que j’agisse librement, sans contrainte, et que pour m’ôter toute la douceur d’une bonne œuvre il suffisait qu’elle devînt un devoir pour moi.
53 — Confessions
En entrant sur le territoire de Berne je fis arrêter ; je descendis, je me prosternai, j’embrassai, je baisai la terre, et m’écriai dans mon transport. Ciel protecteur de la vertu, je te loue, je touche une terre de liberté. C’est ainsi qu’aveugle et confiant dans mes espérances, je me suis toujours passionné pour ce qui devait faire mon malheur.
54 — Rousseau juge de Jean-Jaques
Ils ont fait en sorte que, libre en apparence au milieu des hommes, il n’eût avec eux aucune société réelle, qu’il vécût seul dans la foule, qu’il ne sût rien de ce qui se fait, rien de ce qui se dit autour de lui, rien surtout de ce qui le regarde et l’intéresse le plus, qu’il se sentit partout chargé de chaînes dont il ne pût ni montrer ni voir le moindre vestige. Ils ont élevé autour de lui des murs de ténèbres impénétrables à ses regards ; ils l’ont enterré vif parmi les vivants.
55 — Les Rêveries
Il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé des biens imaginaires à la place des biens réels qu’elle lui offrait d’elle-même quand il savait en jouir. Il fuit le soleil et le jour qu’il n’est plus digne de voir; il s’enterre tout vivant et fait bien, ne méritant plus de vivre à la lumière du jour.
56 — Les Confessions
Nous commencions à nous cacher, à nous mutiner, à mentir. Tous les vices de notre âge corrompaient notre innocence et enlaidissaient nos jeux. La campagne même perdit à nos yeux cet attrait de douceur et de simplicité qui va au cœur. Elle nous semblait déserte et sombre ; elle s’était comme couverte d’un voile qui nous en cachait les beautés.
57 — Rousseau juge de Jean-Jaques
Si dans l’année 1751 quelqu’un eût prédit cette légère et dédaigneuse façon de juger un homme alors si universellement estimé, personne ne l’eût pu croire, et si le public regardait de sang froid le chemin qu’on lui a fait faire pour l’amener par degrés à cette étrange persuasion, il serait étonné lui-même de voir les sentiers tortueux et ténébreux par lesquels on l’a conduit insensiblement jusque là sans qu’il s’en soit aperçu.
58 — Les Rêveries
Se bornant à la botanique de cabinet et de jardin, au lieu d’observer les végétaux dans la nature, on ne s’occupe que de systèmes et de méthodes ; matière éternelle de dispute qui ne fait pas connaître une plante de plus, et ne jette aucune véritable lumière sur l’histoire naturelle et le règne végétal. De-là les haines, les jalousies que la concurrence de célébrité excite chez les botanistes auteurs, autant et plus que chez les autres savants.
59 — Les Confessions
Ce moment fut affreux : ceux qui le suivirent furent toujours sombres. J’étais jeune encore : mais ce doux sentiment de jouissance et d’espérance qui vivifie la jeunesse me quitta pour jamais. Dès lors l’être sensible fut mort à demi. Je ne vis plus devant moi que les tristes restes d’une vie insipide, et si quelquefois encore une image de bonheur effleura mes désirs, ce bonheur n’était plus celui qui m’était propre, je sentais qu’en l’obtenant je ne serais pas vraiment heureux.
60 — Les Rêveries
L’indignation, la fureur, le délire s’emparèrent de moi : je perdis la tramontane. Ma tête se bouleversa, et dans les ténèbres horribles où l’on n’a cessé de me tenir plongé, je n’aperçus plus ni lueur pour me conduire, ni appui, ni prise où je pusse me tenir ferme, et résister au désespoir qui m’entraînait.
61 — Les Confessions
Je m’applique à bien développer partout les premières causes pour faire sentir l’enchaînement des effets. Je voudrais pouvoir en quelque façon rendre mon âme transparente aux yeux du lecteur, et pour cela je cherche à la lui montrer sous tous les points de vue, à l’éclairer par tous les jours, à faire en sorte qu’il ne s’y passe pas un mouvement qu’il n’aperçoive, afin qu’il puisse juger par lui-même du principe qui les produit.
62 — Les Rêveries
Après m’être longtemps tourmenté sans succès, il fallut bien prendre haleine. Cependant j’espérais toujours, je me disais : un aveuglement si stupide, une si absurde prévention ne saurait gagner tout le genre humain. Il y a des hommes de sens qui ne partagent pas le délire; il y a des âmes justes qui détestent la fourberie et les traîtres.
63 — Dictionnaire de musique
Or, la nature qui a doué les objets de chaque sens de qualités propres à le flatter, a voulu qu’un son quelconque fût toujours accompagné d’autres sons agréables, comme elle a voulu qu’un rayon de lumière fut toujours formé des plus belles couleurs.
64 — Les Confessions
Ici commence l’œuvre de ténèbres dans lequel depuis huit ans je me trouve enseveli, sans que de quelque façon que je m’y sois pu prendre il m’ait été possible d’en percer l’effrayante obscurité. Dans l’abîme de maux où je suis submergé, je sens les atteintes des coups qui me sont portés, j’en aperçois l’instrument immédiat, mais je ne puis voir ni la main qui le dirige, ni les moyens qu’elle met en œuvre.
65 — Les Confessions
Jamais un malheur quel qu’il soit ne me trouble et ne m’abat pourvu que je sache en quoi il consiste ; mais mon penchant naturel est d’avoir peur des ténèbres, je redoute et je hais leur air noir, le mystère m’inquiète toujours, il est par trop antipathique avec mon naturel ouvert jusqu’à l’imprudence.