Rue du Contrat social

Propositions de textes pour les performances Rue du Contrat social :


Des premières sociétés
La plus ancienne de toutes les sociétés, et la seule naturelle, est celle de la famille: encore les enfants ne restent-ils liés au père qu’aussi longtemps qu’ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout.

Les enfants, exempts de l’obéissance qu’ils devaient au père; le père, exempt des soins qu’il devait aux enfants, rentrent tous également dans l’indépendance. S’ils continuent de rester unis, ce n’est plus naturellement, c’est volontairement; et la famille elle-même ne se maintient que par convention.
Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l’homme. Sa première loi est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même; et sitôt qu’il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à le conserver, devient par là son propre maître.
La famille est donc, si l’on veut, le premier modèle des sociétés politiques: le chef est l’image du père, le peuple est l’image des enfants; et tous, étant nés égaux et libres, n’aliènent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que, dans la famille, l’amour du père pour ses enfants le paye des soins qu’il leur rend; et que, dans l’État, le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n’a pas pour ses peuples.

Du Contrat social, Livre I, Chapitre II

Comment une multitude aveugle, qui souvent ne sait ce qu’elle veut, parce qu’elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait elle d’elle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu’un système de législation ?
De lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé. 
Il faut lui faire voir les objets tels qu’ils sont, quelquefois tels qu’ils doivent lui paraître, lui montrer le bon chemin qu’elle cherche, la garantir de la séduction des volontés particulières, rapprocher à ses yeux les lieux et les temps, balancer l’attrait des avantages présents et sensibles, par le danger des maux éloignés et cachés. Les particuliers voient le bien qu’ils rejettent : le public veut le bien qu’il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides : Il faut obliger les uns à conformer leurs volontés à leur raison; il faut apprendre à l’autre à connaître ce qu’il veut.

Du Contrat social, Livre II, Chapitre VI

De la démocratie
D’ailleurs, que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce gouvernement ! Premièrement, un État très petit, où le peuple soit facile à rassembler, et où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres ; secondement, une grande simplicité de mœurs qui prévienne la multitude d’affaires et de discussions épineuses ; ensuite beaucoup d’égalité dans les rangs et dans les fortunes, sans quoi l’égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits et l’autorité ; enfin peu ou point de luxe, car ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse, à la vanité ; il ôte à l’État tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion.

Du Contrat social, livre III, Chapitre IV

 

De la mort du corps politique
Le corps politique, aussi bien que le corps de l’homme, commence à mourir dès sa naissance et porte en lui-même les causes de sa destruction. Mais l’un et l’autre peut avoir une constitution plus ou moins robuste et propre à le conserver plus ou moins longtemps. La constitution de l’homme est l’ouvrage de la nature; celle de l’État est l’ouvrage de l’art. Il ne dépend pas des hommes de prolonger leur vie, il dépend d’eux de prolonger celle de l’État aussi loin qu’il est possible, en lui donnant la meilleure constitution qu’il puisse avoir. Le mieux constitué finira, mais plus tard qu’un autre, si nul accident imprévu n’amène sa perte avant le temps. 


Du Contrat social, livre III, Chapitre XI

Sentant que j’avais des ennemis secrets et puissants dans le royaume, je jugeai que, malgré mon attachement pour la France, j’en devais sortir pour assurer ma tranquillité. Mon premier mouvement fut de me retirer à Genève ; mais un instant de réflexion suffit pour me dissuader de faire cette sottise. Je savais que le ministère de France, encore plus puissant à Genève qu’à Paris, ne me laisserait pas plus en paix dans une de ces villes que dans l’autre, s’il avait résolu de me tourmenter […] Je savais que, malgré tous les beaux semblants, il régnait contre moi, dans tous les coeurs genevois, une secrète jalousie qui n’attendait que l’occasion de s’assouvir. Néanmoins, l’amour de la patrie me rappelait dans la mienne ; et si j’avais pu me flatter d’y vivre en paix, je n’aurais pas balancé : mais l’honneur ni la raison ne me permettant pas de m’y réfugier comme un fugitif, je pris le parti de m’en rapprocher seulement, et d’aller attendre, en Suisse, celui qu’on prendrait à Genève à mon égard. On verra bientôt que cette incertitude ne dura pas longtemps.

Les Confessions, Livre onzième

Note : Alors qu’il réside à Montmorency, près de Paris, Rousseau est l’objet d’une menace d’arrestation après la publication de deux livres : Émile et Du Contrat social.