Rue du Vicaire savoyard

Propositions de textes pour les performances Rue du Vicaire savoyard :

Je marquai de l’empressement à l’entendre. Le rendez-vous ne fut pas renvoyé plus tard qu’au lendemain matin. On était en été, nous nous levâmes à la pointe du jour.

Il me mena hors de la ville, sur une haute colline, au-dessous de laquelle passait le Pô, dont on voyait le cours à travers les fertiles rives qu’il baigne ; dans l’éloignement, l’immense chaîne des Alpes couronnait le paysage ; 
les rayons du soleil levant rasaient déjà les plaines, et projetant sur les champs par longues ombres les arbres, les coteaux, les maisons, enrichissaient de mille accidents de lumière le plus beau tableau dont l’œil humain puisse être frappé. On eût dit que la nature étalait à nos yeux toute sa magnificence pour en offrir le texte à nos entretiens. Ce fut là qu’après avoir quelque temps contemplé ces objets en silence, l’homme de paix me parla ainsi.

Émile, Livre IV

Cherchons-nous donc sincèrement la vérité ? Ne donnons rien au droit de la naissance et à l’autorité des pères et des pasteurs, mais rappelons à l’examen de la conscience et de la raison tout ce qu’ils nous ont appris dès notre enfance. Ils ont beau me crier : soumets ta raison ; autant m’en peut dire celui qui me trompe : il me faut des raisons pour soumettre ma raison.

Émile, Livre IV (Profession de foi du vicaire savoyard)

Combattu sans cesse par mes sentiments naturels qui parlaient pour l’intérêt commun, et par ma raison qui rapportait tout à moi, j’aurais flotté toute ma vie dans cette continuelle alternative, faisant le mal, aimant le bien, et toujours contraire à moi- même, si de nouvelles lumières n’eussent éclairé mon cœur, si la vérité, qui fixa mes opinions, n’eût encore assuré ma conduite et ne m’eût mis d’accord avec moi. On a beau vouloir établir la vertu par la raison seule, quelle solide base peut-on lui donner ? La vertu, disent-ils, est l’amour de l’ordre. Mais cet amour peut-il donc et doit-il l’emporter en moi sur celui de mon bien-être ? Qu’ils me donnent une raison claire et suffisante pour le préférer. Dans le fond leur prétendu principe est un pur jeu de mots ; car je dis aussi, moi, que le vice est l’amour de l’ordre, pris dans un sens différent. Il y a quelque ordre moral partout où il y a sentiment et intelligence. La différence est que le bon s’ordonne par rapport au tout, et que le méchant ordonne le tout par rapport à lui. Celui-ci se fait le centre de toutes choses ; l’autre mesure son rayon et se tient à la circonférence.

Émile, Livre IV (Profession de foi du vicaire savoyard)

Bon jeune homme, soyez sincère et vrai sans orgueil ; sachez être ignorant : vous ne tromperez ni vous ni les autres. Si jamais vos talents cultivés vous mettent en état de parler aux hommes, ne leur parlez jamais que selon votre conscience, sans vous embarrasser s’ils vous applaudiront. L’abus du savoir produit l’incrédulité. Tout savant dédaigne le sentiment vulgaire ; chacun en veut avoir un à soi. L’orgueilleuse philosophie mène au fanatisme. Évitez ces extrémités ; restez toujours ferme dans la voie de la vérité, ou de ce qui vous paraîtra l’être dans la simplicité de votre cœur, sans jamais vous en détourner par vanité ni par faiblesse.

Émile, Livre IV (Profession de foi du vicaire savoyard)