Articles par Jean-Louis

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Je n’ai pas su comment mon pere supporta cette perte; mais je sais qu’il ne s’en consola jamais. Il croyoit la revoir en moi, sans pouvoir oublier que je la lui avois ôtée; jamais il ne m’embrassa que je ne sentisse à ses soupirs, à ses convulsives étreintes, qu’un regret amer se mêloit à ses caresses; elles n’en étoient que plus tendres. Quand il me disoit: Jean Jaques, parlons de ta mere; je lui disois: hé bien, mon pere, nous allons donc pleurer; et ce mot seul lui tiroit déja des larmes. Ah! disoit-il en gemissant; rend-la moi, console-moi d’elle; rempli le vide qu’elle a laissé dans mon ame. T’aimerois-je ainsi si tu n’étois que mon fils? Quarante ans après l’avoir perdue, il est mort dans les bras d’une seconde femme, mais le nom de la premiére à la bouche, et son image au fond du cœur.

Genève, 1717 — Genève, 9 juillet 1999. Les Confessions, Livre premier

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Je cherche où est le charme attendrissant que mon cœur trouve à cette chanson : c’est un caprice auquel je ne comprends rien ; mais il m’est de toute impossibilité de la chanter jusqu’à la fin, sans être arrêté par mes larmes. J’ai cent fois projetté d’écrire à Paris pour faire chercher le reste des paroles, si tant est que quelqu’un les connoisse encore. Mais je suis presque sûr que le plaisir que je prens à me rappeller cet air s’évanouiroit en partie, si j’avois la preuve que d’autres que ma pauvre tante Suson l’ont chanté.

Genève, 1717 — Paris, 30 juin 1999. Les Confessions, Livre premier

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Non seulement je n’eus jusqu’à mon adolescence aucune idée distincte de l’union des séxes ; mais jamais cette idée confuse ne s’offrit à moi que sous une image odieuse et dégoutante. J’avois pour les filles publiques une horreur qui ne s’est jamais effacée ; je ne pouvois voir un débauché sans dédain, sans effroi même : car mon aversion pour la débauche alloit jusques là, depuis qu’allant un jour au petit Sacconex par un chemin creux, je vis des deux côtés des cavités dans la terre où l’on me dit que ces gens-là faisoient leurs accouplemens.

Genève, Petit Saconnex, 1722 — Genève, Petit Saconnex, 12 avril 1998. Les Confessions, Livre premier

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Assez longtems elle s’en tint à la menace, et cette menace d’un châtiment tout nouveau pour moi me sembloit très effrayante; mais après l’execution, je la trouvai moins terrible à l’épreuve que l’attente ne l’avoit été, et ce qu’il y a de plus bisarre est que ce châtiment m’affectionna davantage encore à celle qui me l’avoit imposé. Il falloit même toute la vérité de cette affection et toute ma douceur naturelle pour m’empêcher de chercher le retour du même traitement en le méritant : car j’avois trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m’avoit laissé plus de desir que de crainte de l’éprouver derechef par la même main.

Bossey, 1722 — Bossey, 22 août 1997. Les Confessions, Livre premier

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A peine achevoit-on de verser le prémier seau d’eau que nous commençames d’en voir couler dans nôtre bassin. A cet aspect la prudence nous abandonna; nous nous mîmes à pousser des cris de joye qui firent retourner M. Lambercier, et ce fut dommage : car il prenoit grand plaisir à voir comment la terre du noyer étoit bonne et buvoit avidement son eau. Frappé de la voir se partager entre deux bassins, il s’écrie à son tour, regarde, apperçoit la friponnerie, se fait brusquement apporter une pioche, donne un coup, fait voler deux ou trois éclats de nos planches, et criant à pleine tête, un aqueduc, un aqueduc, il frappe de toutes parts des coups impitoyables, dont chacun portoit au milieu de nos cœurs. En un moment les planches, le conduit, le bassin, le saule, tout fut détruit, tout fut labouré ; sans qu’il y eut durant cette expédition terrible nul autre mot prononcé, sinon l’exclamation qu’il répétoit sans cesse. Un aqueduc, s’écrioit-il en brisant tout, un aqueduc, un aqueduc !

Bossey, 1722 — Rolle, 13 août 1997. Les Confessions, Livre premier

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Il étoit, lui, un garçon du haut : moi, chetif apprentif, je n’étois plus qu’un enfant de St. Gervais. Il n’y avoit plus entre nous d’égalité malgré la naissance ; c’étoit déroger que de me fréquenter. Cependant les liaisons ne cesserent point tout à fait entre nous, et comme c’étoit un garçon d’un bon naturel, il suivoit quelquefois son cœur malgré les leçons de sa mere. Instruit de ma resolution, il accourut, non pour m’en dissuader ou la partager, mais pour jetter par de petits présens quelque agrément dans ma fuite ; car mes propres ressources ne pouvoient me mener fort loin.

Confignon, 15 mars 1728 — Confignon, 15 mars 1998. Les Confessions, Livre premier

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Autant le moment où l’effroi me suggera le projet de fuir m’avoit paru triste, autant celui où je l’executai me parut charmant. Encore enfant quitter mon pays, mes parens, mes appuis, mes ressources, laisser un apprentissage à moitié fait sans savoir mon métier assez pour en vivre; me livrer aux horreurs de la misére sans voir aucun moyen d’en sortir; dans l’age de la foiblesse et de l’innocence m’exposer à toutes les tentations du vice et du desespoir; chercher au loin les maux, les erreurs, les piéges, l’esclavage et la mort, sous un joug bien plus inflexible que celui que je n’avois pu souffrir ; c’étoit là ce que j’allois faire, c’étoit la perspective que j’aurois dû envisager.

Confignon, 15 mars 1728 — Confignon, 16 mars 1998. Les Confessions, Livre second

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Jamais la méchanceté ne fut plus loin de moi que dans ce cruel moment, et lorsque je chargeai cette malheureuse fille, il est bizarre mais il est vrai que mon amitié pour elle en fut la cause. Elle étoit présente à ma pensée, je m’excusai sur le prémier objet qui s’offrit. Je l’accusai d’avoir fait ce que je voulois faire et de m’avoir donné le ruban parce que mon intention étoit de le lui donner.

Turin, 1728 — Haute Maurienne, 6 juillet 1998. Les Confessions, Livre second

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Cette chambre étoit sur le passage dont j’ai parlé où se fit nôtre prémiére entrevue, et au delà du ruisseau et des jardins on découvroit la campagne. Cet aspect n’étoit pas pour le jeune habitant une chose indifférente. C’étoit depuis Bossey la prémiére fois que j’avois du verd devant mes fenêtres. Toujours masqué par des murs je n’avois eu sous les yeux que des toits ou le gris des rues. Combien cette nouveauté me fut sensible et douce! elle augmenta beaucoup mes dispositions à l’attendrissement. Je faisois de ce charmant paysage encore un des bienfaits de ma chere patronne : il me sembloit qu’elle l’avoit mis là tout exprès pour moi; je m’y plaçois paisiblement auprès d’elle; je la voyois par tout entre les fleurs et la verdure; ses charmes et ceux du printems se confondoient à mes yeux. Mon cœur jusqu’alors comprimé se trouvoit plus au large dans cet espace, et mes soupirs s’exhaloient plus librement parmi ces vergers.

Annecy, printemps 1730 — Région d’Annecy, 3 mai 1998. Les Confessions, Livre troisième

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Le doux souvenir de cette journée ne coûtoit rien à ces aimables filles; la tendre union qui régnoit entre nous trois valloit des plaisirs plus vifs et n’eut pu subsister avec eux : nous nous aimions sans mistére et sans honte, et nous voulions nous aimer toujours ainsi. L’innocence des mœurs a sa volupté qui vaut bien l’autre, parce qu’elle n’a point d’intervalle et qu’elle agit continuellement. Pour moi je sais que la mémoire d’un si beau jour me touche plus, me charme plus, me revient plus au cœur que celle d’aucuns plaisirs que j’aye goutés en ma vie. Je ne savois pas trop bien ce que je voulois à ces deux charmantes personnes, mais elles m’intéressoient beaucoup toutes deux.

Thônes, 1er juillet 1730 — Région d’Annecy, 7 juin 1998. Les Confessions, Livre quatrième

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Dans ce voyage de Vevai je me livrois en suivant ce beau rivage à la plus douce mélancolie. Mon cœur s’élançoit avec ardeur à mille félicités innocentes; je m’attendrissois, je soupirois et pleurois comme un enfant. Combien de fois m’arrêtant pour pleurer à mon aise, assis sur une grosse pierre, je me suis amusé à voir tomber mes larmes dans l’eau ?

Vevey, juillet 1730 — Rolle, Lac Léman, 12 août 1997. Les Confessions, Livre quatrième

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Je me promenois dans une sorte d’extase livrant mes sens et mon cœur à la joüissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d’en joüir seul. Absorbé dans ma douce rêverie je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade sans m’appercevoir que j’étois las. Je m’en apperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d’une espéce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse : le ciel de mon lit étoit formé par les têtes des arbres, un rossignol étoit précisement au dessus de moi; je m’endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il étoit grand jour : mes yeux en s’ouvrant virent l’eau,la verdure, un paysage admirable.

Lyon, septembre 1731 — Lyon, 21 septembre 1997. Les Confessions, Livre quatrième

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On a bordé le chemin d’un parapet pour prévenir les malheurs : cela faisoit que je pouvois contempler au fond et gagner des vertiges tout à mon aise ; car ce qu’il y a de plaisant dans mon gout pour les lieux escarpés est qu’ils me font tourner la tête, et j’aime beaucoup ce tournoyement pourvu que je sois en sureté. Bien appuyé sur le parapet j’avançois le nez, et je restois là des heures entiéres, entrevoyant de tems en tems cette écume et cette eau bleue dont j’entendois le mugissement à travers les cris des corbeaux et des oiseaux de proye qui voloient de roche en roche et de broussaille en broussaille à cent toises au dessous de moi. Dans les endroits où la pente étoit assez unie et la broussaille assez claire pour laisser passer des cailloux, j’en allois chercher au loin d’aussi gros que je les pouvois porter, je les rassemblois sur le parapet en pile ; puis les lançant l’un après l’autre, je me delectois à les voir rouler, bondir et voler en mille éclats avant que d’atteindre le fond du précipice.

Chailles, septembre 1731 — Gorges du Fier, 18 juillet 1999. Les Confessions, Livre quatrième

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Je logeai chez moi, c’est à dire chez Maman; mais je ne retrouvai pas ma chambre d’Annecy. Plus de jardin, plus de ruisseau, plus de paysage. La maison qu’elle occupoit étoit sombre et triste, et ma chambre étoit la plus sombre et la plus triste de la maison. Un mur pour vue, un cul-de-sac pour rue, peu d’air, peu de jour, peu d’espace, des grillons, des rats, des planches pourries; tout cela ne faisoit pas une plaisante habitation. Mais j’étois chez elle, auprès d’elle, sans cesse à mon bureau ou dans sa chambre, je m’appercevois peu de la laideur de la mienne, je n’avois pas le tems d’y rêver.

Chambéry, septembre 1731 — Chambéry, 12 juillet 1999. Les Confessions, Livre cinquième

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Parmi les rochers de cette côte, j’ai trouvé dans un abri solitaire une petite esplanade d’où l’on découvre à plein la ville heureuse où vous habitez. Jugez avec quelle avidité mes yeux se porterent vers ce séjour chéri. Le premier jour, je fis mille efforts pour y discerner votre demeure; mais l’extrême éloignement les rendit vains, et je m’apperçus que mon imagination donnoit le change à mes yeux fatigués. Je courus chez le Curé emprunter un telescope avec lequel je vis ou crus voir votre maison, et depuis ce tems je passe des jours entiers dans cet azile à contempler ces murs fortunés qui renferment la source de ma vie. Malgré la saison je m’y rends dès le matin et n’en reviens qu’à la nuit. Des feuilles et quelques bois secs que j’allume servent avec mes courses à me garantir du froid excessif. J’ai pris tant de goût pour ce lieu sauvage que j’y porte même de l’encre et du papier, et j’y écris maintenant cette lettre sur un quartier que les glaces ont détaché du rocher voisin.

Meillerie, hiver 1734 — Meillerie, 15 mars 1998. La Nouvelle Héloïse, Première partie, Lettre XXVI

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En lisant chaque Auteur, je me fis une loi d’adopter et suivre toutes ses idées sans y mêler les miennes ni celles d’un autre, et sans jamais disputer avec lui. Je me dis, commençons par me faire un magasin d’idées, vrayes où fausses, mais nettes, en attendant que ma tête en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir. Cette methode n’est pas sans inconvénient, je le sais, mais elle m’a reussi dans l’objet de m’instruire. Au bout de quelques années passées à ne penser exactement que d’après autrui, sans réfléchir, pour ainsi dire, et presque sans raisonner, je me suis trouvé un assez grand fond d’aquis pour me suffire à moi-même et penser sans le secours d’autrui.

Chambéry, 1737 — Chambéry, 4 juillet 1998. Les Confessions, Livre sixième

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