1765

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Tandis que je me pavannois dans cette idée j’entendis peu loin de moi un certain cliquetis que je crus reconnoitre ; j’écoute : le même bruit se repete et se multiplie. Surpris et curieux je me léve, je perce à travers un fourré de broussaille du coté d’où venoit le bruit, et dans une combe à vingt pas du lieu même où je croyois être parvenu le prémier j’apperçois une manufacture de bas. Je ne saurois exprimer l’agitation confuse et contradictoire que je sentis dans mon cœur à cette découverte. Mon prémier mouvement fut un sentiment de joye de me retrouver parmi des humains où je m’étois cru totalement seul. Mais ce mouvement plus rapide que l’éclair fit bientot place à un sentiment douloureux plus durable, comme ne pouvant dans les antres même des alpes échaper aux cruelles mains des hommes, acharnés à me tourmenter.

Val-de-Travers, 1765 — Val-de-Travers, 8 juillet 1999. Les Rêveries du promeneur solitaire,Septième Promenade

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Je fus prêché en chaire, nommé l’antechrist, et poursuivi dans la campagne comme un Loup-garou. Mon habit d’Armenien servoit de renseignement à la populace; j’en sentois cruellement l’inconvenient; mais le quitter dans ces circonstances me sembloit une lâcheté. Je ne pus m’y résoudre, et je me promenois tranquillement dans le pays avec mon caffetan et mon bonnet fourré entouré des huées de la canaille et quelquefois de ses cailloux. Plusieurs fois en passant devant des maisons, j’entendois dire à ceux qui les habitoient : apportez-moi mon fusil, que je lui tire dessus. Je n’en allois pas plus vîte ; ils n’en étoient que plus furieux ; mais ils s’en tinrent toujours aux menaces ; du moins pour l’article des armes à feu.

Môtiers, septembre 1765 — Môtiers, 17 août 1997. Les Confessions, Livre douzième

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Je prenois donc en quelque sorte congé de mon Siécle et de mes contemporains, et je faisois mes adieux au monde en me confinant dans cette Ile pour le reste de mes jours; car telle étoit ma résolution, et c’étoit là que je comptois executer enfin le grand projet de cette vie oiseuse auquel j’avois inutilement consacré jusqu’alors tout le peu d’activité que le Ciel m’avoit départie. Cette Ile alloit devenir pour moi celle de Papimanie, ce bien-heureux pays où l’on dort. Où l’on fait plus, où l’on fait nulle chose. Ce plus étoit tout pour moi; car j’ai toujours peu regretté le sommeil; l’oisiveté me suffit, et pourvu que je ne fasse rien, j’aime encor mieux rêver éveillé qu’en songe. L’age des projets romanesques étant passé, et la fumée de la gloriole m’ayant plus étourdi que flaté, il ne me restoit pour derniére espérance que celle de vivre sans gêne dans un loisir éternel. C’est la vie des bienheureux dans l’autre monde, et j’en faisois desormais mon bonheur suprême dans celui-ci.

Île de Saint-Pierre, septembre 1765 — Île de Saint-Pierre, 29 septembre 1997. Les Confessions, Livre douzième

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En consequence de ce beau projet, tous les matins après le déjeuné, que nous faisions tous ensemble, j’allois une loupe à la main et mon Systema naturœ sous le bras visitter un canton de l’Isle, que j’avois pour cet effet divisée en petits quarrés dans l’intention de les parcourrir l’un après l’autre en chaque saison. Rien n’est plus singulier que les ravissemens, les extases que j’éprouvois à chaque observation que je faisois sur la structure et l’organisation vegetale, et sur le jeu des parties sexuelles dans la fructification, dont le système étoit alors tout à fait nouveau pour moi. La distinction des caractéres génériques, dont je n’avois pas auparavant la moindre idée, m’enchantoit en les vérifiant sur les espéces communes en attendant qu’il s’en offrit à moi de plus rares.

Île de Saint-Pierre, septembre 1765 — Île de Saint-Pierre, 29 septembre 1997. Les Rêveries du promeneur solitaire, Cinquième Promenade

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L’exercice que j’avois fait dans la matinée et la bonne humeur qui en est inseparable me rendoient le repos du diné très agréable; mais quand il se prolongeoit trop et que le beau tems m’invitoit, je ne pouvois si longtems attendre, et pendant qu’on étoit encore à table je m’esquivois et j’allois me jetter seul dans un batteau que je conduisois au milieu du lac quand l’eau étoit calme, et là, m’étendant tout de mon long dans le bateau les yeux tournés vers le ciel, je me laissois aller et dériver lentement au gré de l’eau quelquefois pendant plusieurs heures, plongé dans mille reveries confuses mais délicieuses, et qui sans avoir aucun objet bien déterminé ni constant ne laissoient pas d’être à mon gré cent fois préférables à tout ce que j’avois trouvé de plus doux dans ce qu’on appelle les plaisirs de la vie.

Île de Saint-Pierre, septembre  1765 — Île de Saint-Pierre, 29 septembre 1997. Les Rêveries du promeneur solitaire, Cinquième Promenade

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Je donnai cette idée au Receveur qui fit venir de Neufchatel des Lapins males et femelles et nous allames en grande pompe, sa femme, une de ses sœurs, Therese et moi, les établir dans la petite Isle, où ils commençoient à peupler avant mon depart et où ils auront prospéré sans doute s’ils ont pu soutenir la rigueur des hivers. La fondation de cette petite Colonie fut une fête. Le pilote des argonautes n’étoit pas plus fier que moi menant en triomphe la compagnie et les lapins de la grande Isle à la petite, et je notois avec orgueil que la Receveuse qui redoutoit l’eau à l’excés et s’y trouvoit toujours mal, s’embarqua sous ma conduite avec confiance et ne montra nulle peur durant la traversée.

Île de Saint-Pierre, octobre 1765 — Île de Saint-Pierre, 29 septembre 1997. Les Rêveries du promeneur solitaire, Cinquième Promenade

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A ces amusemens, j’en joignois un qui me rappelloit la douce vie des Charmettes, et auquel la saison m’invitoit particuliérement. C’étoit un détail de soins rustiques pour la recolte des legumes et des fruits, et que nous nous faisions un plaisir Therese et moi de partager avec la Receveuse et sa famille. Je me souviens qu’un Bernois nommé M. Kirkebergher m’étant venu voir, me trouva perché sur un grand arbre, un sac attaché autour de ma ceinture et déja si plein de pommes que je ne pouvois plus me remuer. Je ne fus pas fâché de cette rencontre et de quelques autres pareilles. J’esperois que les Bernois, témoins de l’emploi de mes loisirs, ne songeroient plus à en troubler la tranquillité et me laisseroient en paix dans ma solitude. J’aurois bien mieux aimé y être confiné par leur volonté que par la mienne : j’aurois été plus assuré de n’y point voir troubler mon repos.

Île de Saint-Pierre, octobre 1765 — Environs de Montmorency, 13 octobre 1997. Les Confessions, Livre douzième

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