1728

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Il étoit, lui, un garçon du haut : moi, chetif apprentif, je n’étois plus qu’un enfant de St. Gervais. Il n’y avoit plus entre nous d’égalité malgré la naissance ; c’étoit déroger que de me fréquenter. Cependant les liaisons ne cesserent point tout à fait entre nous, et comme c’étoit un garçon d’un bon naturel, il suivoit quelquefois son cœur malgré les leçons de sa mere. Instruit de ma resolution, il accourut, non pour m’en dissuader ou la partager, mais pour jetter par de petits présens quelque agrément dans ma fuite ; car mes propres ressources ne pouvoient me mener fort loin.

Confignon, 15 mars 1728 — Confignon, 15 mars 1998. Les Confessions, Livre premier

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Autant le moment où l’effroi me suggera le projet de fuir m’avoit paru triste, autant celui où je l’executai me parut charmant. Encore enfant quitter mon pays, mes parens, mes appuis, mes ressources, laisser un apprentissage à moitié fait sans savoir mon métier assez pour en vivre; me livrer aux horreurs de la misére sans voir aucun moyen d’en sortir; dans l’age de la foiblesse et de l’innocence m’exposer à toutes les tentations du vice et du desespoir; chercher au loin les maux, les erreurs, les piéges, l’esclavage et la mort, sous un joug bien plus inflexible que celui que je n’avois pu souffrir ; c’étoit là ce que j’allois faire, c’étoit la perspective que j’aurois dû envisager.

Confignon, 15 mars 1728 — Confignon, 16 mars 1998. Les Confessions, Livre second

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C’est peut-être pour cela même que l’image de cette aimable femme est restée empreinte au fond de mon cœur en trais si charmans. Elle s’y est même embellie à mesure que j’ai mieux connu le monde et les femmes. Pour peu qu’elle eut eu d’expérience, elle s’y fut prise autrement pour animer un petit garçon : mais si son cœur étoit foible il étoit honnête ; elle cédoit involontairement au penchant qui l’entraînoit ; c’étoit selon toute apparence sa prémiére infidélité, et j’aurois peutêtre eu plus à faire à vaincre sa honte que la mienne. Sans en être venu là j’ai goûté près d’elle des douceurs inexprimables. Rien de tout ce qui m’a fait sentir la possession des femmes ne vaut les deux minutes que j’ai passées à ses pieds sans même oser toucher à sa robe.

Turin, juin 1728 — Paris, rue de Rivoli, 11 juin 1998. Les Confessions, p. 76.

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Jamais la méchanceté ne fut plus loin de moi que dans ce cruel moment, et lorsque je chargeai cette malheureuse fille, il est bizarre mais il est vrai que mon amitié pour elle en fut la cause. Elle étoit présente à ma pensée, je m’excusai sur le prémier objet qui s’offrit. Je l’accusai d’avoir fait ce que je voulois faire et de m’avoir donné le ruban parce que mon intention étoit de le lui donner.

Turin, 1728 — Haute Maurienne, 6 juillet 1998. Les Confessions, Livre second

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On étoit en été; nous nous levames à la pointe du jour. Il me mena hors de la ville, sur une haute colline au dessous de laquelle passoit le Pô, dont on voyoit le cours à travers les fertiles rives qu’il baigne. Dans l’éloignement, l’immense chaîne des Alpes couronoit le paysage. Les rayons du soleil levant rasoient déja les plaines, et projettant sur les champs par longues ombres les arbres, les côteaux, les maisons, enrichis soient de mille accidens de lumiére le plus beau tableau dont l’œil humain puisse être frapé. On eut dit que la nature étaloit à nos yeux toute sa magnificence pour en offrir le texte à nos entretiens. Ce fut-là, qu’après avoir quelque tems contemplé ces objets en silence, l’homme de paix me parla ainsi.

Turin, juillet 1728 — Turin, Monte dei Cappuccini, 9 juillet 1998. Émile, Livre IV

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