Cette chambre étoit sur le passage dont j’ai parlé où se fit nôtre prémiére entrevue, et au delà du ruisseau et des jardins on découvroit la campagne. Cet aspect n’étoit pas pour le jeune habitant une chose indifférente. C’étoit depuis Bossey la prémiére fois que j’avois du verd devant mes fenêtres. Toujours masqué par des murs je n’avois eu sous les yeux que des toits ou le gris des rues. Combien cette nouveauté me fut sensible et douce! elle augmenta beaucoup mes dispositions à l’attendrissement. Je faisois de ce charmant paysage encore un des bienfaits de ma chere patronne : il me sembloit qu’elle l’avoit mis là tout exprès pour moi; je m’y plaçois paisiblement auprès d’elle; je la voyois par tout entre les fleurs et la verdure; ses charmes et ceux du printems se confondoient à mes yeux. Mon cœur jusqu’alors comprimé se trouvoit plus au large dans cet espace, et mes soupirs s’exhaloient plus librement parmi ces vergers.
Annecy, printemps 1730 — Région d’Annecy, 3 mai 1998. Les Confessions, Livre troisième