1737

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En lisant chaque Auteur, je me fis une loi d’adopter et suivre toutes ses idées sans y mêler les miennes ni celles d’un autre, et sans jamais disputer avec lui. Je me dis, commençons par me faire un magasin d’idées, vrayes où fausses, mais nettes, en attendant que ma tête en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir. Cette methode n’est pas sans inconvénient, je le sais, mais elle m’a reussi dans l’objet de m’instruire. Au bout de quelques années passées à ne penser exactement que d’après autrui, sans réfléchir, pour ainsi dire, et presque sans raisonner, je me suis trouvé un assez grand fond d’aquis pour me suffire à moi-même et penser sans le secours d’autrui.

Chambéry, 1737 — Chambéry, 4 juillet 1998. Les Confessions, Livre sixième

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Je me demandois : en quel état suis-je? Si je mourois à l’instant-même, serois-je danné? Selon mes Jansenistes la chose étoit indubitable; mais selon ma conscience il me paroissoit que non. Toujours craintif, en flotant dans cette cruelle incertitude j’avois recours pour en sortir aux expédiensles plus risibles, et pour lesquels je ferois volontiers enfermer un homme si je lui en voyois faire autant. Un jour rêvant à ce triste sujet je m’exerceois machinalement à lancer des pierres contre les troncs des arbres, et cela avec mon addresse ordinaire, c’est à dire, sans presque en toucher aucun. Tout au milieu de ce bel exercice, je m’avisai de m’en faire une espéce de pronostic pour calmer mon inquiétude. Je me dis, je m’en vais jetter cette pierre contre l’arbre qui est vis à vis de moi. Si je le touche, signe de salut ; si je le manque, signe de dannation. Tout en disant ainsi je jette ma pierre d’une main tremblante et avec un horrible battement de cœur, mais si heureusement qu’elle va frapper au beau milieu de l’arbre ; ce qui véritablement n’étoit pas difficile; car j’avois eu soin de le choisir fort gros et fort près.

Chambéry, Les Charmettes, 1737 — Rolle, 14 août 1997. Les Confessions, Livre sixième

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Après un déjeuné d’excellentes figues, je pris un guide et j’allai voir le Pont du Gard. C’étoit le premier ouvrage des Romains que j’eusse vu. Je m’attendois à voir un monument digne des mains qui l’avoient construit. Pour le coup l’objet passa mon attente, et ce fut la seule fois en ma vie. Il n’appartenoit qu’aux Romains de produire cet effet. L’aspect de ce simple et noble ouvrage me frappa d’autant plus qu’il est au milieu d’un desert où le silence et la solitude rendent l’objet plus frappant et l’admiration plus vive ; car ce prétendu pont n’etoit qu’un aqueduc. On se demande quelle force a transporté ces pierres énormes si loin de toute carriére, et a reuni les bras de tant de milliers d’hommes dans un lieu où il n’en habite aucun. Je parcourus les trois étages de ce superbe édifice que le respect m’empêchoit presque d’oser fouler sous mes pieds. Le retentissement de mes pas sous ces immenses voutes me faisoit croire entendre la forte voix de ceux qui les avoient bâties.

Pont du Gard, 21 septembre 1737 — Pont du Gard, 21 septembre 1999. Les Confessions, Livre sixième

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L’étude des animaux n’est rien sans l’anatomie; c’est par elle qu’on apprend à les classer à distinguer les genres, les espéces. Pour les étudier par leurs mœurs, par leurs caractéres il faudroit avoir des voliéres, des viviers, des ménageries, il faudroit les contraindre en quelque maniére que ce put être à rester rassemblés autour de moi. Je n’ai ni le gout ni les moyens de les tenir en captivité, ni l’agilité nécessaire pour les suivre dans leurs allures quand ils sont en liberté. Il faudra donc les étudier morts, les déchirer, les desosser, fouiller à loisir dans leurs entrailles palpitantes ! Quel appareil affreux qu’un amphitheatre anatomique, des cadavres puans, de baveuses et livides chairs, du sang, des intestins dégoutans, des squeletes affreux, des vapeurs pestilentielles! Ce n’est pas là, sur ma parole, que J. J. ira chercher ses amusemens. Brillantes fleurs, email des près, ombrages frais, ruisseaux, bosquets, verdure, venez purifier mon imagination salie par tous ces hideux objets.

Montpellier, septembre 1737 — Montpellier, 19 septembre 1999. Les Rêveries du promeneur solitaire, Septième Promenade

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