1757, juin. Sophie d’Houdetot


Au fond de ce jardin étoit un assez grand taillis par où nous fumes chercher un joli bosquet orné d’une cascade dont je lui avois donné l’idée et qu’elle avoit fait éxécuter. Souvenir immortel d’innocence et de jouissance ! Ce fut dans ce bosquet qu’assis avec elle sur un banc de gason sous un Acacia tout chargé de fleurs, je trouvai pour rendre les mouvemens de mon cœur un langage vraiment digne d’eux. Ce fut la prémiére et l’unique fois de ma vie; mais je fus sublime, si l’on peut nommer ainsi tout ce que l’amour le plus tendre et le plus ardent peut porter d’aimable et de séduisant dans un cœur d’homme. Que d’enivrantes larmes je versai sur ses genoux !

Eaubonne, juin 1757 — Région de Montmorency, 28 juin 1998. Les Confessions, Livre neuvième