Écriture

« […] cette idée d’un procès qu’on lui fait, d’un jugement auquel il est livré et d’un tribunal devant lequel il lui faut incessamment se justifier en se racontant sans cesse, lui est imposée par la forme de littérature où il excelle et dont sa pensée subit jusqu’à la hantise des exigences processives. En ce sens, c’est bien le dédoublement, la discorde entre la parole littéraire, encore classique et cicéronienne, justificatrice, soucieuse et fière d’être juste — et la parole originelle, immédiate, injustifiée mais ne relevant d’aucune justice, ainsi fondamentalement innocente, qui expose l’écrivain à se sentir tour à tour Rousseau et Jean-Jacques, puis à la fois l’un et l’autre dans une dualité qu’il incarne avec une admirable passion. » (Maurice Blanchot, Le Livre à venir, p. 67.)

Écrivain autodidacte, heureux (Confessions, p. 436), fêté puis censuré, contesté, errant en littérature d’un genre à l’autre, Rousseau se sent prisonnier de l’écriture (Confessions, p. 279, Rêveries, p. 1076).

Notes associées : Mort, Supplément.

1769. Ferme de Monquin


On a recommandé à tout ce qui l’entoure de veiller particulierement à ce qu’il peut écrire. On a même tâché de lui en ôter les moyens, et l’on étoit parvenu dans la retraite où on l’avoit attiré en Dauphiné à écarter de lui toute encre lisible, en sorte qu’il ne put trouver sous ce nom que de l’eau legerement teinte, qui même en peu de tems perdoit toute sa couleur. Malgré toutes ces précautions le drole est encore parvenu à écrire ses mémoires qu’il appelle ses confessions et que nous appellons ses mensonges : avec de l’encre de la Chine, à laquelle on n’avoit pas songé : mais si l’on ne peut l’empêcher de barbouiller du papier à son aise, on l’empêche au moins de faire circuler son venin : car aucun chiffon, ni petit, ni grand, pas un billet de deux lignes ne peut sortir de ses mains sans tomber à l’instant même dans celles des gens établis pour tout recueillir.

Monquin, 1769 — Monquin, 12 juillet 1999. Rousseau juge de Jean Jaques, Premier Dialogue