Lac

« Le lac est omniprésent et représente le fond général du texte. […] Dans la tempête matinale, c’est l’eau des profondeurs qui menace […]. Il est inutile ici d’insister sur la symbolique sexuelle : le bateau, « la chaleur et l’agitation » de Julie, les planches écartées, le verbe inonder (employé à plusieurs reprises, en d’autres circonstances, dans des passages parfaitement révélateurs), la mort imaginée au milieu des flots, etc. Dans l’épisode médian, [c’est] l’eau des sommets qui traverse la scène […]. Enfin le soir, au moment où « l’attendrissement » surmonte « le désespoir », l’eau monte de l’intérieur des êtres : ce sont les « torrents de larmes ». » (Jean Starobinski, « La Forme du jour », Cahiers pour un temps, pp. 204-205.)

Le « flux et reflux » du lac (Rêveries, p. 1045) répondent aux « érotiques transports », préludes à la Julie (Confessions, p. 431, p. 438), et à l’auto-érotisme de la dérive en barque (Rêveries, p. 1044).

Notes associées : Bord de l’eau, Supplément.

1744, août. L’orage sur le lac


Nous nous mimes tous aux rames, et presque au même instant j’eus la douleur de voir Julie saisie du mal de cœur, foible et défaillante au bord du bateau. Heureusement elle étoit faite à l’eau et cet état ne dura pas. Cependant nos efforts croissoient avec le danger ; le soleil, la fatigue et la sueur nous mirent tous hors d’haleine et dans un épuisement excessif. C’est alors que retrouvant tout son courage Julie animoit le notre par ses caresses compatissantes ; elle nous essuyoit indistinctement à tous le visage, et mêlant dans un vase du vin avec de l’eau de peur d’ivresse, elle en offroit alternativement aux plus épuisés. Non, jamais votre adorable amie ne brilla d’un si vif éclat que dans ce moment où la chaleur et l’agitation avoient animé son teint d’un plus grand feu, et ce qui ajoutoit le plus à ces charmes étoit qu’on voyoit si bien à son air attendri que tous ses soins venoient moins de frayeur pour elle que de compassion pour nous.

Lac Léman, août 1744 — Lac Léman, 24 août 1997. La Nouvelle Héloïse, Quatrième partie, Lettre XVII