En approchant du bosquet, j’apperçus, non sans une émotion secrette, vos signes d’intelligence, vos sourires mutuels, et le coloris de tes joues prendre un nouvel éclat. En y entrant, je vis avec surprise ta cousine s’approcher de moi, et, d’un air plaisamment suppliant, me demander un baiser. Sans rien à ce mistere j’embrassai cette charmante amie, et toute aimable, toute piquante qu’elle est, je ne connus jamais mieux, que les sensations ne sont rien que ce que le cœur les fait être. Mais que devins-je un moment après, quand je sentis….. la main me tremble…… un doux frémissement…… ta bouche de roses…….. la bouche de Julie….. se poser, se presser sur la mienne, et mon corps serré dans tes bras ? Non, le feu du ciel n’est pas plus vif ni plus prompt que celui qui vint à l’instant m’embraser. Toutes les parties de moi même se rassemblerent sous ce toucher délicieux. Le feu s’exhaloit avec nos soupirs de nos levres brulantes, et mon cœur se mouroit sous le poids de la volupté…. quand tout à coup je te vis pâlir, fermer tes beaux yeux, t’apuyer sur ta cousine, et tomber en défaillance. Ainsi la frayeur éteignit le plaisir, et mon bonheur ne fut qu’un éclair.
Clarens, été 1734 — Genève, 12 avril 1998. La Nouvelle Héloïse, Première partie, Lettre XIV, À Julie