Dans une petite ville, on trouve, proportion gardée, moins d’activité, sans doute, que dans une capitale ; parce que les passions sont moins vives et les besoins moins pressans; mais plus d’esprits originaux, plus d’industrie inventive, plus de choses vraiment neuves; parce qu’on y est moins imitateur, qu’ayant peu de modéles, chacun tire plus de lui-même, et met plus du sien dans tout ce qu’il fait; parce que l’esprit humain, moins étendu, moins noyé parmi les opinions vulgaires, s’élabore et fermente mieux dans la tranquile solitude ; parce qu’en voyant moins, on imagine davantage ; enfin, parce que, moins pressé du tems, on a plus le loisir d’étendre et digerer ses idées. Je me souviens d’avoir vu dans ma jeunesse aux environs de Neufchâtel un spectacle assés agreable et peut être unique sur la terre. Une montagne entiére couverte d’habitations dont chacune fait le centre des terres qui en dépendent ; en sorte que ces maisons, à distances aussi égales que les fortunes des proprietaires offrent à la fois aux nombreux habitans de cette montagne le recueillement de la retraite et les douceurs de la Societé.
Vallée de La Sagne, Jura, hiver 1730 — Vallée de La Sagne, Jura, 17 août 1997. Lettre à d’Alembert