1737, 21 septembre. Le Pont du Gard


Après un déjeuné d’excellentes figues, je pris un guide et j’allai voir le Pont du Gard. C’étoit le premier ouvrage des Romains que j’eusse vu. Je m’attendois à voir un monument digne des mains qui l’avoient construit. Pour le coup l’objet passa mon attente, et ce fut la seule fois en ma vie. Il n’appartenoit qu’aux Romains de produire cet effet. L’aspect de ce simple et noble ouvrage me frappa d’autant plus qu’il est au milieu d’un desert où le silence et la solitude rendent l’objet plus frappant et l’admiration plus vive ; car ce prétendu pont n’etoit qu’un aqueduc. On se demande quelle force a transporté ces pierres énormes si loin de toute carriére, et a reuni les bras de tant de milliers d’hommes dans un lieu où il n’en habite aucun. Je parcourus les trois étages de ce superbe édifice que le respect m’empêchoit presque d’oser fouler sous mes pieds. Le retentissement de mes pas sous ces immenses voutes me faisoit croire entendre la forte voix de ceux qui les avoient bâties.

Pont du Gard, 21 septembre 1737 — Pont du Gard, 21 septembre 1999. Les Confessions, Livre sixième

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