1761. Contrat social


Comment une multitude aveugle, qui souvent ne sait ce qu’elle veut, parce qu’elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuteroit-elle d’elle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu’un sistême de législation? De lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets tels qu’ils sont, quelquefois tels qu’ils doivent lui paroitre, lui montrer le bon chemin qu’elle cherche, la garantir de la séduction des volontés particulieres, rapprocher à ses yeux les lieux et les tems, balancer l’attrait des avantages présens et sensibles, par le danger des maux éloignés et cachés. Les particuliers voyent le bien qu’ils rejettent : le public veut le bien qu’il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides : Il faut obliger les uns à conformer leurs volontés à leur raison; il faut apprendre à l’autre à connoitre ce qu’il veut.

Montmorency, 1761 — Genève, 14 mars 1998. Du Contrat social, Livre II, Chapitre VI

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